Depuis ses premiers albums, la chanteuse américaine a su capitaliser sur les plateformes sociales pour nouer un lien fort avec ses fans, les Swifties, tout en y développant son business.
Les lèvres peintes en noir, le regard ombragé… La chanteuse et compositrice Taylor Swift apparaît vêtue d’une robe blanche déstructurée dans une publication virale postée sur son compte Instagram, suivi par 284 millions de personnes. «En écrivant le clip de Fortnight, je tenais à vous dévoiler les mondes que j’ai dans ma tête», écrit la chanteuse, qui a sorti le 19 avril son nouvel album intitulé «The Tortured Poet Department».
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Ces quelques photos en noir et blanc, à l’esthétique néoromantique rappelant la vague «emokids» des années 2000, ont immédiatement ravivé les souvenirs d’adolescence de ses fans. «Je suis prête à faire la fête avec mon compte Tumblr, mes tenues d'étudiante gothique et mes vieux carnets remplis de poèmes à moitié griffonnés», s’enthousiasme une journaliste de Business Insider, pour qui le nouvel album de la chanteuse parle directement à son «esprit de fille émo».
Les fans de Taylor Swift, surnommés «les Swifties», en référence au nom de famille de la chanteuse, ont propulsé le dernier album de la chanteuse en tête des ventes. Elle est même devenue la première artiste de l'histoire à occuper simultanément les 14 premières places du classem*nt Hot100 du magazine Billboard. Un nouveau record pour l’Américaine qui poursuit en même temps sa tournée internationale à guichets fermés, The Eras Tour. Elle doit se produire à Paris les 9, 10, 11 et 12 mai.
Les réseaux sociaux, ingrédients d’un succès commercial
L’empire musical que gère la chanteuse-compositrice s’accompagne d’un pilotage léché de sa communication en ligne. L’Américaine a débuté sa carrière au milieu des années 2000, à la naissance des premières plateformes sociales telles que MySpace, Facebook et Tumblr. Elle en manie depuis parfaitement les codes. «Sur les réseaux sociaux, on voit bien que Taylor Swift est très ’control freak’. Si un nouvel album sort, toute l’esthétique de ses comptes va être repensée, et elle laisse souvent des messages cachés à ses fans dans ses publications», constate Sarah Dahan, journaliste et autrice du livre Divas - Les plus grandes icônes de la pop (Huginn & Muninn).
Pour mobiliser ses fans, Taylor Swift ne manque pas d’idées originales. En 2017, un peu avant la sortie de son album Reputation, la chanteuse fait le buzz en supprimant l’ensemble de ses publications Instagram. Alors âgée de 27 ans, la star sort d’une série de polémiques avec le couple Kanye West et Kim Kardashian. Surtout, elle subit un cyberharcèlement massif de leurs fans. «En faisant table rase sur son compte, elle a fait une forte impression», se souvient Lucie, 25 ans, «swiftie» depuis 2012. « Elle voulait nous faire comprendre que c’était une renaissance pour elle. À ma connaissance, c’est la première artiste à avoir eu une telle stratégie de communication sur Instagram».
Via les réseaux sociaux, l’Américaine a bâti sa propre légende qui est séquencée par ses différentes «eras» («ères» en français). Chacun de ses albums correspond à une étape de sa vie, et est marqué par une direction artistique forte. Les visuels accompagnant son album Lover par exemple, sorti en 2019, sont entièrement pensés autour des teintes rosées. La chanteuse, tout juste partie du label Big Machine Records à l’époque, y évoque sa vie personnelle mais aussi sa liberté artistique retrouvée.
Les «Swifties», une puissante communauté sur internet
Ces fans ont, de fait, la sensation d’accompagner et de soutenir Taylor Swift à chaque étape de son parcours artistique. Une stratégie qui lui permet « de décliner presque à outrance ses albums et son merchandising. Lesquels sont souvent vendus à des prix conséquents», note la journaliste Sarah Dahan. «Elle sait que ses fans sont aussi des collectionneurs.» Sur son site officiel, il faut compter une quarantaine de dollars pour ses vinyles et près de 70 dollars pour certains de ses tee-shirts ou sweats. «Sur les dix meilleures ventes de vinyles l’année dernière aux Etats-Unis, quatre étaient de Taylor Swift», ajoute Alberic Tellier, professeur de Management de l'innovation à l'Université Paris-Dauphine.
La chanteuse, déjà suivie par 284 millions d’adeptes sur Instagram, totalise également 95 millions d’abonnés à son compte X (ex-twitter). Sur ce dernier, la chanteuse tweete régulièrement à la première personne, que ce soit sur ses nouveaux records ou bien sur ses concerts. Une omniprésence en ligne qui lui a permis de nouer un lien fort avec ses fans. «Elle n’oublie jamais de nous remercier pour son succès et elle nous a toujours bien traités. Il n’y a jamais eu un concert annulé ou une critique de sa part sur notre communauté», explique Lucie.
Tout comme cette jeune femme, la plupart des adeptes de Taylor Swift ont grandi avec sa musique et étaient des jeunes adolescents dans les années 2010. Les groupes Facebookétaient alors des lieux incontournables pour échanger sur leur star favorite, et ils ont scellé ce sentiment d’appartenance à une communauté. «J’avais trouvé un groupe qui s’appelait “BeFearless and love Taylor Swift”», se souvient Lucie. «J’ai sympathisé avec beaucoup d’autres Swifties, dont mon meilleur ami depuis dix ans maintenant.»
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youre on your own kid bridge sped up - julianna!
Aujourd’hui, ce lien entre Swifties perdure sur le réseau social TikTok.Taylor Swift a à peine besoin de s’y rendre pour communiquer. Il suffit de taper son prénom et son nom dans la barre de recherche pour tomber sur des millions de vidéos amateures sur son couple, sa tournée ou ses derniers albums.
Dernière tendance sur ce réseau social: fabriquer des bracelets à messages pour se les échanger, entre fans, lors des concerts de leur idole. Une référence à l’une de ses chansons «You're On Your Own, Kid», où la chanteuse évoque les bracelets d’amitié et l’importance de savourer les moments entre amis. «Par rapport à d’autres communautés, je sais que si j’aborde demain une Swiftie avec un tote bag de Taylor Swift, la conversation sera immédiatement naturelle», insiste Lucie.
De chanteuse à gourou?
Taylor Swift alimente ce sentiment de proximité en manifestant sa présence sous les publications de ses adeptes. «Elle va partager certaines tendances TikTok virales, réaliser des challenges et inviter des Swifties à des séances d’écoutes privées», décrit la journaliste Sarah Dahan. «Parfois, elle va même plus loin. C’est arrivé par exemple qu’elle fasse des dons pour aider un fan à financer ses études», décrit-elle. « C’est presque un système pyramidal: plus tu es un Swiftie impliqué en ligne, et plus tu as des chances d’accéder à des surprises époustouflantes», complète le professeur Alberic Tellier.
@jessschmidty4 The best and real reaction to seeing her favorite person @Taylor Swift!@Taylor Nation #swiftie #swiftietiktok #erastour #erastourtaylorswift #taylorswift @Fiona(TaylorsVersion) #swiftieapolis #swiftieapolisn1 #taylorswiftreaction
original sound - Jess Schmidty
Cette proximité a un revers: certains Swifties se permettent de s’immiscer dans la vie privée de la chanteuse pour mieux la «protéger». Ils ont par exemple enquêté sur ses anciens compagnons, comme l’auteur et compositeur Matty Healy. Les moindres faits et gestes du musicien ont été traqués et il a été accusé de tenir des propos problématiques. Ces fans ont alors enjoint leur idole à rompre au plus vite dans des séries de tweets ou de vidéos postées sur TikTok. Ces excès sont tels que la chanteuse est parfois obligée de poser des limites. «Elle a restreint la possibilité de pouvoir écrire des commentaires sous ses publications par exemple», rappelle Sarah Dahan.
Plus qu’une chanteuse-compositrice, cette star se mue presque en une forme de gourou moderne. Certains pensent même qu’elle pourrait d’un mot influencer l’issue de l’élection présidentielle américaine prévue en novembre. Les Démocrates rêvent de son soutien, tandis que les Républicains la pointent du doigt. Et si la chanteuse n’a pas encore mentionné pour quel parti elle compte voter, reste à voir si ses «Swifties» attendront son post Instagram pour choisir leur bulletin de vote.